Parlons de transports de marchandises, en particulier dans une métropole comme Lyon. Un tiers des émissions du secteurs des transports sont liés au transport de marchandises, soit 10% des émissions GES de la France [1]. La majeur partie est liée au trafic routier.
A Lyon et dans sa métropole, chaque habitant génère actuellement des flux d’approvisionnement pour 35,3 tonnes par an [2]. C’est gigantesque et c’est au-delà de la moyenne française (25 t) ! Quels sont ces types de marchandises ? Des matériaux de construction, des produits pétroliers ou alimentaires, des colis, des déchets et autres. Toutes ces marchandises sont acheminées vers la ville, depuis des points de départ parfois à seulement quelques kilomètres, souvent à des centaines ou milliers de kilomètres.
L’acheminement même, mais surtout la production et la fin de vie, voire la combustion de ces produits engendrent des pollutions importantes, que ce soit l’extraction de matériaux, l’utilisation d’eau ou des émissions de gaz à effet de serre. En temps d’urgence climatique, nous devons réduire fortement nos émissions et parmi elles aussi toutes celles liées à nos consommations de biens.
Une partie de la réponse serait certainement une part de localisme pour limiter les multiples circuits logistiques. Une ceinture maraichère, une vallée industrielle, un réseau d’entreprises clients-fournisseurs, des hubs de massification et autres… Néanmoins, ce localisme n’a qu’un impact limité sur les émissions GES, car justement toute la logistique est massifiée, donc ramenée au produit, l’impact du transport est négligeable ou peu significatif. C’est la limite que nous voyons avec le concept des « food miles »: analyser l’impact de notre système alimentaire par son aspect kilométrique. « Malheureusement », cela a plusieurs limites. D’une part, la massification des transports réduit les émissions GES par produit à un impact faible et semble-t-il « optimisé ». D’autre part, notre besoin en nourriture, toutes choses égales par ailleurs, est plus difficilement modulable, de surcroit si nous voyons la croissance démographique planétaire.
Etre « locavore » c’est davantage un acte de soutien à l’agriculture locale, notamment aux agricultrices et aux agriculteurs qui produisent les aliments nécessaires à la vie humaine. Couplé à des achats ciblés sur des produits issues d’une agriculture raisonnée ou agro-écologique, c’est aussi un acte citoyen fort pour développer localement une agriculture que la personne considère meilleure que celle qui viendrait d’ailleurs. Meilleure en termes de biodiversité, d’utilisation d’intrants synthétiques, de produits phytosanitaires, de conditions de travail, de dignité ou encore de rémunération. C’est aussi un comportement qui, en réalité, en accroit la résilience d’un territoire sur le plan alimentaire. L’agriculture et ses acteurs est un cycle qui a besoin d’être entretenu, en termes de ressources humaines et de renouvellement des pratiques. En termes d’émissions de GES, selon les pratiques, le compte n’y est pas forcément. Cela dépend aussi fortement du système globale : modification des habitudes alimentaires vers une alimentation plus végétale, modes de transport des aliments, etc.
Quel lien avec les autres marchandises ? C’est une situation analogue, à la différence qu’un certain nombre de marchandises sont moins des produits de première nécessité. La demande est donc modulable d’une manière plus significative. Tout comme pour la transition énergétique, la sobriété est le premier composant pour réussir la transition et être à la hauteur des enjeux écologiques. Le recyclage ou même upcycling sont utiles pour optimiser les ressources et l’énergie investie. L’enjeu néanmoins est de réduire la surconsommation pour éviter l’extraction massive des ressources, l’abus de consommation énergétique et le gaspillage d’autres ressources. Cette frugalité permettra donc de réduire fortement les flux logistiques nécessaires, y compris pour une métropole.
A Lyon, ces 35,5 t par habitant et par an pourraient se matérialiser par 1,2 semi-remorques ou encore 175 vélos-cargo. Tout comme pour le transport de passagers, les enjeux sont ceux des émissions GES, de la pollution de l’air et de l’occupation de l’espace public. Les transports de marchandises représentent effectivement 12% des déplacements motorisés et 30% de l’occupation de la voirie.
On voit donc un enjeu tout particulier en termes de circulation et d’occupation de l’espace public dans des grandes villes denses comme Lyon. Si certaines marchandises de la grande distribution arriveront toujours par poids lourds au point unique de distribution (par exemple, un supermarché), y compris en centre-ville, d’autres n’ont pas des circuits logistiques aussi massifiés et optimisés. Un certain nombre de petits ou moyens commerces, ou entreprises de toutes tailles, ont des besoins logistiques, somme toute, assez modestes.
C’est à ce moment qu’intervient la cyclo-logistique (ou vélo-logistique) avec des livraisons en vélo-cargo, que ce soit des biporteurs, triporteurs, avec ou sans remorque. Les cycles peuvent porter en général entre 100 kg et un peu plus de 200 kg. Le marché est actuellement surtout porté par les colis, courriers, papeterie diverse, fleurs ou autres matériels informatiques. Néanmoins, les vélo-cargos frigorifiques se développent rapidement pour permettre des livraisons de produits frais (notamment alimentaire), voire de matériel de santé.
Avec des trajets de courte distance, la cyclo-logistique est capable de remplacer efficacement des dizaines voire centaines de camionnettes thermiques actuellement en circulation en ville. Bien évidemment, l’objectif doit également être celui de l’optimisation des trajets et des tournées, afin de ne pas remplacer un véhicule utilitaire léger (VUL) par 5 vélo-cargos. C’est en ce sens qu’il s’agit de traiter également le cas de la reverse logistic, la logistique dédiée à l’acheminement sortant de déchets de commerces ou chantiers de construction. Avec le développement d’aménagements cyclables larges et confortables, c’est aussi la vitesse des trajets qui augmente. L’encombrement de la voirie diminue ainsi, même comparé à un usage de VULs électriques, ce qui est également un objectif en matière de circulation et de stationnement.
Outre les pistes cyclables, ce sont aussi les emplacements pour livrer qui font partie du bon fonctionnement de la logistique en centre-ville. Si nous connaissons dans les grandes villes des problèmes importants pour faire respecter certaines aires de livraison classiques, elles restent néanmoins essentielles à l’approvisionnement des commerces. Une règlementation plus claire, ne permettant plus le stationnement particulier à certaines heures, est certainement à creuser. Initié par l’une des entreprises cyclo-logistique lyonnaise, nous avons entamé un projet de création d’aires de livraison pour vélos-cargos.
Une première en France : une aire de livraison vélo-cargo

A l’instar des aires de livraison classiques, cette aire de livraison est dédiée à la cyclo-logistique pour la charge et décharge de marchandises. Afin de soutenir la filière, il nous a paru essentiel de créer des aménagements dédiés dans les endroits les plus desservies en 2020/2021 par les différents professionnels lyonnais. La règlementation est similaire aux aires de livraison avec un temps de charge/décharge d’un maximum de 15 minutes cette fois.
Dans un premier temps, il s’agit environ d’une quinzaine d’emplacements qui seront déployés en 2021 par les services de la Ville de Lyon et de la Métropole de Lyon. Toutefois, cette emprise de 10 x 2 mètres n’est pas le seul enjeu foncier…
Le principal enjeu de la logistique du dernier kilomètre est celui du maillage au sein et autour de la ville des « espaces de logistique urbains (ELU) ». Ces espaces de stockage, de quelques centaines de m² à des dizaines de milliers de m², permettent de massifier l’arrivée des marchandises à un endroit, avant de distribuer les produits, que ce soit en véhicule thermique ou vélo-cargo. Le principe le plus connu de ce système est celui de La Poste avec des centres de distribution de courriers maillant le territoire pour permettre de massifier l’arrivée du courrier et avoir des points de proximité pour faciliter le travail des facteurs.
Les entrepôts aujourd’hui les plus connus sont bien-sûr également ceux de la grande distribution et des géants du e-commerce. Au total, en 2020 dans la Métropole de Lyon, 1,7 millions de m² d’entrepôts étaient en activité [3], soit environ 1,2 m² par habitant. Il y a effectivement des marchandises qui font une halte aux abords des villes et d’autres qui nous parviennent depuis l’extérieur plus lointain.
Selon les marchandises et modèles, il y a différents types de scénarios de rupture de charge aux abords ou dans les villes. Pour celles de la cyclo-logistique, des ELUs au plus proche des destinations sont nécessaires. Actuellement à Lyon, outre les locaux des différentes entreprises, il existe 6 espaces en centre-ville et un Hôtel de logistique urbaine (HLU) de plus de 10 000 m² est en cours de construction au Port de Lyon Edouard Herriot.
Avec un secteur en pleine croissance, l’enjeu de la collectivité est donc de penser le moyen et long terme pour intégrer la logistique au schéma urbanistique de la ville. Le Plan local d’urbanisme (PLU) est un outil important : il permet de fixer des usages sur des espaces du territoire, que ce soit pour la protection d’un patrimoine bâti ou végétal ou la création de nouveaux espaces de logistique. L’enjeu de la planification foncière est à prendre à bras le corps et en avance de phase. C’est ce qu’a fait par exemple la Ville de Paris lors de la révision de son PLU-H en 2016 [4].
Passer à la vitesse supérieure
L’enjeu de la cyclo-logistique est d’écrire la prochaine page de son chapitre avec des flux bien plus importants pour remplacer toujours plus de véhicules thermiques en zone dense. Cela créera aussi de nombreux emplois, de quelques dizaines aujourd’hui à Lyon à plusieurs centaines ou milliers d’ici quelques années.
Afin de donner un « coup de boost » à cette filière vélo, mais plus généralement celle de la livraison décarbonée, nous avons initié début 2021 avec Lyon Parc Auto (LPA) un projet appelé Ma Livraison ZEN [5] avec pour objectif de créer une vitrine pour les acteurs de la logistique décarbonée et éthique.
Les sociétés de transports de marchandises qui s’inscrivent dans une démarche d’une motorisation électrique, gaz ou musculaire peuvent effectuer une demande de référencement. Soucieux des conditions de travail des travailleurs de la logistique, nous avons ajouté ce critère « éthique » qui permet d’encourager des conditions de travail dignes et des contrats stables – à l’inverse du domaine « ubérisé » de la livraison de repas à domicile en plein essor suite à la crise sanitaire du coronavirus.
Cette démarche simple et peu coûteuse permet d’accélérer la transition écologique jusque dans le transport de marchandises. En tant que collectivités dirigée par des écologistes, c’est bien notre objectif. Nous sommes ravis qu’après quelques mois, cela porte déjà ses fruits avec des projets communs en discussion entre les entreprises référencées et une augmentation des flux de marchandises. Nous voyons aussi l’intérêt de nombreuses autres entreprises, notamment cyclo-logistiques, pour venir s’implanter à Lyon prochainement.
La lutte contre le changement climatique nécessite une mobilisation de tous les acteurs et une accélération des actions volontaristes pour plus de sobriété et d’efficacité sur l’utilisation des ressources. Le rôle de la collectivité et de ses représentants politiques est d’impulser une dynamique, de proposer une vision à court et long terme et d’engager tous les acteurs dans la transition.
La question désormais : comment passer de cet épiphénomène de la cyclologistique lancé dans les années 2010 à un phénomène de masse permettant de réduire les pollutions urbaines ? Il ne s’agit pas de s’arrêter là et, sur un autre plan, nous sommes déjà au travail sur une logistique fluviale, voire ferroviaire, à Lyon.
[1] Centre technique de référence en matière de pollution atmosphérique et de
changement climatique (CITEPA), « Secten – le rapport de référence sur les émissions de
gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France » – 2020
[2] Enquête Transport routier de marchandise – 2018
[3] Base Cecim