D’après l’INSEE, en 2019 la France comptait 21 600 équipements culturels [1]. Il s’agit là de bibliothèques, de cinémas, de musées, de théâtres, de monuments ou autres salles de spectacles. En moyenne, cela correspond à 33 équipements disponibles pour 100 000 habitants. Mais ceci est une moyenne nationale…
Dans les faits, la répartition territoriale de l’offre culturelle est très inéquitable : « à l’exception des lieux de lecture publique et des musées et monuments, plus de la moitié des équipements sont situés dans des communes densément peuplées ». Ce déséquilibre concerne aussi le type d’équipement, alors que les plus petites communes ont plutôt accès aux livres et aux monuments.
Dans une métropole comme celle de Lyon, la diversité des équipements culturels est très importante et l’offre est pleinement accessible pour les habitantes et habitants. Elle varie également, avec de multiples expositions temporaires qui opèrent une halte dans la capitale des gaules. Les collectivités locales subventionnent de nombreuses associations ou compagnies, ce qui en retour stimule la création artistique locale. Elles s’engagent également à rendre la culture accessible. Par exemple, la Ville de Lyon met à disposition une carte culture donnant un accès illimité aux bibliothèques et de nombreux musées, pour seulement 38€ par an, voire moins selon les situations de vie.
Malgré cela, la diversité de l’offre culturelle ne profite aujourd’hui pas à tout le monde. Il parait judicieux et important de développer une approche de « l’aller-vers », déjà développée dans le cadre des politiques sociales. Elle permet d’aller à la rencontre des publics là où ils se trouvent, que ce soit pour donner de l’information ou les accompagner dans des démarches administratives. Ici, cet aller-vers concernerait la culture, dans sa diversité.
L’objet de cet article n’est pas de présenter un projet concret à venir, mais de présenter une réflexion d’une politique publique nouvelle qui pourrait être assez cohérente. L’inspiration directe de ce qui suit provient de ma découverte des « cabanes à histoires » du musée des confluences [2]. Ce sont ces boites en bois, métal et plastique que le musée a créées pour exporter ces expositions en dehors de ces murs. Elles se composent d’une illustration, d’un texte et surtout d’enceintes permettant aux visiteurs assis d’écouter une histoire sélectionnée par le musée. Des histoires autour d’objets d’exposition, de pratiques ancestrales, etc. On peut retrouver les cabanes à histoires dans des mairies, des écoles, des hôpitaux, des gares.
Un nouveau pacte entre métropoles et petites villes
Je suis convaincu que ce concept peut être étendu et intégré à une politique publique de solidarité culturelle.
Imaginons déjà que ces cabanes puissent prendre différentes formes, en particulier sur leur aménagement intérieur. On peut imaginer des tableaux, une petite vitrine composée d’objets de collection, éventuellement un écran numérique, une maquette manipulable, des assises différentes et bien d’autres.
Cet objet serait alors la matérialisation d’un nouveau pacte entre les métropoles et les petites et moyennes villes de France. Un nouveau pacte orienté autour de la solidarité culturelle, afin de faire profiter le plus de personnes possibles de la richesse culturelle présente ou itinérante en milieu urbain dense. Nous avons vu qu’une partie significative des équipements est présente dans les métropoles, il s’agirait alors d’amener un morceau d’exposition artistique, historique ou scientifique au plus proche des habitants en manque d’offre culturelle diversifiée.
Ces cabanes nomades mériteraient des emplacements de centralité là où elles seraient implantées. Une mairie, une gare SNCF, une salle des fêtes, une halle de marché. L’idée est bien évidemment d’en faire profiter un maximum de personnes. Ainsi, un centre-bourg parait parfaitement adapté ! Il est vrai que certains pourraient argumenter que les centres commerciaux en périphérie seraient également de bons candidats. Toutefois, nous avons aussi un enjeu de politiques publiques cohérentes entre elles. Celui de la redynamisation des centre-bourgs en est un majeur et l’implantation de telles cabanes dans un centre historique à proximité de la place du marché ou du café du coin peut réellement permettre de créer de nouvelles dynamiques autour de ces expositions éphémères. Cela permet également de réaffirmer le centre-bourg comme lieu de vie central, à rebours de la dérive vers les zones « boites à chaussures ». C’est là où se font les rencontres entre voisins, là où se compose la vie en société, là où se retrouvent jeunes et moins jeunes pour prendre un verre. Ces rencontres ne rentrent pas dans le calcul du PIB et pourtant leur fréquence est capitale pour la prospérité et la cohésion sociale d’un pays.
Un cycle vertueux pour un tourisme durable
Pour parfaire la cohérence de cette nouvelle politique publique, il convient de penser l’attractivité de la métropole en question, aussi liée à ses équipements culturels d’exception. Implanter des cabanes nomades partout en région suscitera probablement une envie de découvrir l’exposition toute entière. Ce flux touristique en direction de la métropole pourrait devenir important et bénéficier aux équipements culturels, comme aux hôtels, commerces, restaurants, etc.
Un enjeu majeur est bien-sûr celui de la lutte contre le changement climatique avec la réduction forte de nos émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi nous travaillons à Lyon à une stratégie locale du tourisme durable. Cette dernière concerne les activités des touristes sur place, mais également le mode de déplacement vers Lyon. Rappelons ici que la mobilité longue distance est particulièrement contributrice aux émissions de CO2, notamment en ayant recours à la voiture ou à l’avion.
En matière de politique de solidarité culturelle, il serait donc fort appréciable de ne pas induire un flux automobile carboné, en contradiction avec les objectifs climatiques. Ainsi, il me semble intéressant de prioriser cet aller-vers dans des villes disposant de gares SNCF ou de gares routières. C’est ainsi que l’intérêt suscité pour une visite pourra se transformer en un trajet en train/car vers la ville concernée. Un gain évident en CO2 et en confort.
Dans le cas de gares SNCF excentrées du centre-bourg, on pourra appliquer la même logique qu’évoquée précédemment. L’implantation d’une cabane pourrait ainsi permettre d’augmenter l’attractivité du pôle « gare SNCF » de ces villes, en attirant du monde à la gare, afin de favoriser les déplacements en train. D’une manière générale, nous avons un fort potentiel pour la densification des activités autour des gares de villes moyennes – un sujet pour une autre fois.
Pour les territoires touristiques, il y a un vrai enjeu à adapter leur attractivité. Que ce soit pour faire leur part dans la transition, ou encore pour adapter leur spécificité à un environnement changeant. C’est par exemple le cas du tourisme en montagne, bien connu des lyonnaises et lyonnais, avec pour défi la création d’un tourisme quatre-saisons, plus résilient que le seul afflux hivernal. Pour une ville comme Lyon, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, attirant de part son architecture et la richesse de son histoire, il s’agit surtout de penser le futur des déplacements et des activités sur place. Le développement du tourisme dit « régional » (sans se cantonner aux frontières AURAlpiennes) a du potentiel et la solidarité culturelle pourrait également y contribuer.
En somme, voici la recette proposée en trois parties :
- un dispositif physique abritant une petite exposition
- une implantation stratégique dans les villes pour redynamiser le centre-bourg et ayant un lien ferroviaire avec la métropole
- le renforcement d’un tourisme régional adapté aux enjeux du siècle
A l’heure où le phénomène de « diagonale du vide » trouve de plus en plus d’écho dans la population, chaque collectivité doit prendre sa part. L’Etat, les régions, les collectivités locales. J’ai l’intime conviction que les collectivités locales urbaines peuvent aussi avoir un rôle à jouer en exportant leur richesse culturelle. Il s’agit ni plus ni moins d’une politique de solidarité : partager sa richesse culturelle locale avec les territoires plus modestes en la matière.
Références:
[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039867?sommaire=5040030
[2] https://www.lyon.fr/culture/la-carte-culture
[3] https://www.museedesconfluences.fr/fr/le-musee/actualites/les-cabanes-histoires