Faire confiance aux conventions citoyennes

De nombreuses instances de démocratie participative existent en France à tous les échelons, mais depuis 2019, nous avons vécu, selon moi, deux expériences extraordinaires! Deux grandes conventions citoyennes ont été organisées par le CESE sur les sujets du changement climatique [1] et de la fin de vie [2].

D’abord, suite au grand débat, le gouvernement a suivi les propositions qui lui ont été faites pour créer en 2019 la convention citoyenne pour le climat (CCC) avec la mission suivante :

« Définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990. Aux termes de ces travaux, elle adressera publiquement au Gouvernement et au Président de la République un rapport faisant état de ses discussions ainsi que l’ensemble des mesures législatives et réglementaires qu’elle aura jugées nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre »

En clair, 150 citoyennes et citoyens ont été tirés au sort de manière représentative de la population française pour plancher sur un ensemble de mesures pour enfin être à la hauteur du défi du siècle, le changement climatique.

En huit mois, les 150 membres ont pu se former, auditionner des experts et personnalités qualifiées [3], travailler en sous-groupes thématiques et ainsi élaborer un ensemble de propositions. Au final, ce sont 149 propositions qui ont été formulées dans le rapport final remis au gouvernement [4]. Au gouvernement, mais également à l’ensemble de la population française et les médias. Si certaines ont fait plus parler que d’autres, cet exercice inédit aura fait parler dans la société !

D’un point de vue logistique, il y a un comité de gouvernance, un ensemble de garants, ainsi que des « fact-checkers » à disposition des membres. L’ensemble de l’organisation de la CCC aura coûté sur huit mois un total de 5,4 M€ [5].

Source : Site officiel de la CCC

En 2023, nous avons vu une nouvelle convention citoyenne apparaitre, la convention citoyenne sur la fin de vie. Elle a rassemblé 185 citoyennes et citoyens tirés au sort d’une manière représentative de la population française. Sa durée était plus faible que celle de la CCC avec 9 sessions et 27 jours de débats. La question posée par le gouvernement était la suivante :

« Le cadre de l’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »

Les 185 membres ont répondu dans un rapport présenté en avril 2023 [6] avec une large majorité favorable à l’ouverture d’un accès à l’aide active à mourir, sous conditions et avec un débat philosophique ayant forcément eu lieu, une partie des membres rejetant catégoriquement une telle mesure.

En matière d’organisation et de gouvernance, elle se retrouve assez proche de celle de la CCC, bien que le sujet était bien moins complexe et systémique que l’atténuation et l’adaptation climatique. Le coût total est moindre et s’élève à 4,2M€.

Source: CESE

Vu la qualité des travaux, des formations, des interventions, on peut être plutôt convaincu par cet outil démocratique. Il nécessite naturellement un certain nombre de conditions, parmi lesquelles une gouvernance démocratique et transparente, la transparence des débats et interventions, la transparence de l’organisation, la pluralité des expressions et des pensées idéologiques et philosophiques, un tirage au sort le plus minutieux possible et gommant au maximum le biais d’acceptation, etc. Il y a certainement encore des marges d’améliorations à ces deux premières conventions, mais pour moi le constat est sans appel.

Face à une perte de confiance visible dans la politique, la société et autrui, nous avons besoin de repenser le contrat démocratique. Cela passe assurément par un bouquet d’outils et d’évolutions des institutions et ne saurait se réduire à l’outil des conventions citoyennes. Toutefois, je considère que l’outil « convention citoyenne » a fait ses preuves, ou a minima démontré son potentiel, pour devenir un outil pour trancher des débats complexes ou affiner des orientations sur des thématiques compliquées et composites.


Par conséquent, je formule deux propositions concrètes pour alimenter les débats essentiels sur un renouveau démocratique en France.

1 Une convention citoyenne sur le mix énergétique

Pour lutter contre le changement climatique, la question de l’énergie se pose naturellement comme un élément important. En France, il y a notamment énormément de débats sur le mix électrique entre nucléaire et énergies renouvelables. En réalité, il faut élargir ce débat à l’énergie et non juste l’électricité. Certains sujets méritent tout autant de discussions tels que le biogaz et la concurrence des usages sur les terres agricoles, le bois énergie, l’implantation de barrages hydroélectriques ou de STEP, etc.

Il s’agit objectivement d’un sujet très complexe, très technique, et en même temps très politique (au sens premier du terme). La construction du modèle énergétique dépend aussi de la vision de la société à l’avenir (« Neutre en carbone » ? Si oui, comment ?), d’arbitrages entre des usages, de positions idéologiques/philosophiques, de la vision géopolitique, de la vision de l’aménagement du territoire, etc.

Comparatif des scénarios énergétiques – Algoé Consultants – Mars 2022
Comparatif des scénarios énergétiques – Algoé Consultants – Mars 2022

Le débat se cantonne souvent au duel nucléaire vs. ENR. Chacun y va de son avis. Je pourrais aussi indiquer le mien, connaissant le sujet, mais je crois que ce n’est pas le sujet ici. Par ailleurs, le système médiatique et l’organisation démocratique ne permet pas aujourd’hui, selon moi, à la population de se forger un avis éclairé, prenant en compte tous les enjeux associés. A l’heure des réseaux sociaux, fake news, déformations volontaires et plateaux TV aux chroniqueurs aussi experts que votre chat, impossible d’avoir un débat serein. Sans même parler de faire trancher par référendum sans que chacun ait pu se forger un avis éclairé.

Ma proposition est tout simplement d’organiser une convention citoyenne sur le mix énergétique ! Je crois profondément qu’un ensemble de citoyens, formés, ayant pu confronter des positions contraires, ayant pu échanger et faire rencontrer leurs avis, pourrait aboutir à une orientation et un ensemble d’observations pertinentes.

Il ne faut pas avoir de religion en la matière, il n’existe pas de bonne ou mauvaise solution, ce n’est pas un exercice de mathématique. Il s’agit d’un exercice de choix sociétal avant tout. Si toutefois l’objectif commun de toutes et tous est celui d’une planète habitable et d’une biodiversité préservée, alors le résultat de cette CCMix saura converger vers une orientation majoritaire et souligner les divergences et débats qu’il reste à trancher. Ayons confiance !

2 L’Etat comme moteur de la démocratie participative dans les régions

La deuxième proposition est celle d’une nouvelle politique publique à l’échelle nationale. Au plus proche des vies quotidiennes de chacune et chacun, de nombreux débats concrets ou systémiques se posent déjà dans les territoires. Que ce soit l’implantation d’une nouvelle usine à l’activité relocalisée sur une terre agricole, la politique régionale sur l’agriculture et l’alimentation, ou encore la vision de l’autonomie des jeunes adultes (orientations sur les formations, RSA Jeunes, organisation des études supérieures, etc.).

Je propose que l’Etat mette à disposition des fonds et une aide logistique à destination des régions et des plus grandes collectivités locales pour organiser des débats, des conventions citoyennes locales, en lien avec les grandes réformes nationales ou des enjeux régionaux/locaux d’importance.

Cela permettrait de renforcer la démocratie participative dans les régions et de souligner l’échelon régional comme un échelon territorial dont les compétences sont à développer dans une logique de décentralisation du pouvoir. Et là encore dans une logique de faire confiance aux citoyens tirés au sort !

Prenons quelques hypothèses pour chiffrer cette proposition :

  • Considérer un coût d’une convention citoyenne d’environ 5M€
  • Permettre l’organisation de 3 conventions citoyennes au cours d’un mandat législatif
  • Mettre en place ce « kit démocratique » pour les 18 régions administratives et les 18 villes/agglos de plus de 150k habitants

Au total, cela revient à 36 régions+villes x 3 thématiques x 5M€. Soit un fonds national de 540M€ sur un mandat.


Références :
Crédits photo : https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/
[1] https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/
[2] https://conventioncitoyennesurlafindevie.lecese.fr/
[3] https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/intervenants/
[4] https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Convention/ccc-rapport-final.pdf
[5] https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/budget/
[6] https://conventioncitoyennesurlafindevie.lecese.fr/les-propositions-de-la-convention-citoyenne-sur-la-fin-de-vie
[7] Comparatif des scénarios énergétiques – Algoé Consultants – Mars 2022 : https://media.licdn.com/dms/document/C561FAQHEGiEe2sqhBw/feedshare-document-pdf-analyzed/0/1648710919743?e=1683158400&v=beta&t=_0_4uVDUJ9QVoW6s3Z4typPu_2c45v3gTJ3okpdOe3E

%d blogueurs aiment cette page :