Auragritour 2025 : à la rencontre de celles et ceux qui nous nourrissent

Du 22 au 25 avril 2025, c’était la troisième édition de notre tour de la région Auvergne-Rhône-Alpes avec Fanny Dubot et Gautier Chapuis. Après 2023 et 2024, nous sommes allés à la rencontre de paysans, producteurs et acteurs de filière dans les départements de l’Ain, de Savoie et de Haute-Savoie.

Si je devais tirer un rapide bilan de cette édition 2025, je dirais que c’était encore une fois un tour extrêmement enrichissant. Nous sommes allés voir des métiers que nous n’avions pas encore vus, et même si cette édition était décousue pour des raisons d’organisation personnelle et de soucis techniques, elle était d’autant plus éclairante. A chaque échange, nous voyons la diversité des pratiques. A chaque échange, nous voyons l’incohérence d’une partie au moins des politiques publiques qui concernent l’agriculture, l’industrie agro-alimentaire, la distribution et l’alimentation. A chaque échange, nous mesurons l’importance de soutenir ce secteur essentiel pour nous nourrir, pour notre santé, pour préserver notre environnement et certains de nos paysages.

D’avance un grand merci à nos collègues élus de la région, Fabienne Grébert, Maxime Meyer et Albane Colin pour leur participation à cette édition riche, et à leur contribution à l’organisation de la tournée !

Etang de Curlaison, Dombes (Ain)

Je connaissais la région de la Dombes avec ses mille étangs, mais j’ignorais tout de leur histoire. Ces paysages marquants situées entre Lyon et Bourg-en-Bresse sont des espaces façonnés par l’homme, en l’occurrence par des moines au Moyen-Âge. Les étangs sont connectés entre eux, ils forment une chaine en dénivelé où l’eau de ruissellement du bassin versant (et les eaux de pluie) se déplacent au gré des ouvertures et fermetures (des fosses de connexion) vers l’étang final en bout de chaine. Ces étangs servent depuis des siècles à la pisciculture, et apprendre cela est déjà un fait marquant de cet auragritour !

Ce sont principalement des carpes, des brochets, des tanches et autres qui sont élevées ici. Laurent nous a fait visité son étang, celui de Curlaison avec une taille de près de 40 ha, divisés en un très grand et un plus petit étang. Nous l’apercevons dès que nous arrivons, le milieu naturel ici est très riche. Les poissons dans l’eau bien-sûr, mais aussi les multiples oiseaux en période de nidification dans les arbres ou roselières, les cygnes qui se coursent au moment où nous arrivons, les grenouilles qui traversent les hautes herbes, les insectes volants, etc. Cet étang, « le plus beau et entretenu de tous » nous dit-on, est incontestablement un havre de biodiversité.

Du côté de la pêche, nous avons appris beaucoup de choses. A quelques exceptions près, la plupart des étangs sont des milieux auto-suffisants après l’empoissonnage. Autrement dit, les poissons se nourrissent de ce qu’ils trouvent dans ce milieu pseudo-naturel. Ils sont pêchés une fois par an, voire une fois tous les deux ans à certains endroits. Cela se fait en ouvrant les vannes qui feront disparaitre l’eau vers l’étang suivant de la chaine, ou les rivières à défaut. Les poissons sont ainsi collectés à un endroit de pêche par filtre. La pêche se fait toujours à l’hiver, d’octobre à février pour prendre large, les poissons étant amenés par les pisciculteurs dans des bassins et vendus dans les dix jours. Fait notable, tous les cinq ans, les étangs opèrent une « mise à sec ». Pendant une saison, le sol en vase est cultivé avec des céréales (sorgho, soja, sarrasin), ce qui lui permet aussi de se renouveler. Ainsi, selon le moment quand vous passez dans le coin, le paysage peut changer du tout au tout, d’une multitude d’étangs à un paysage français plus classique, celui de champs céréaliers entourés d’arbres.

Nous avons beaucoup échangé avec Laurent et ses deux collègues, sur les difficultés et la pérennité du métier, ainsi que les paradoxes de la pisciculture de la Dombes. Sur ce dernier aspect, notons que si 60% de la production concerne des carpes, la quasi totalité est exportée en Alsace ou en Allemagne, où ce poisson est encore consommé traditionnellement, ce qui n’est pas le cas de notre région. Les carpes, c’est presque deux-tiers de la production, et pourtant, c’est l’autre partie qui constitue la majorité du revenu, le désintérêt pour la carpe y étant pour quelque chose. Nous avons goûté à la goujonnette de carpe, faite maison et sur place, ainsi qu’à de la truite fumée locale. Une délice ! Mettre un coup de projecteur sur cette culture locale semble essentiel, tant la carpe peut aussi être transformée pour faire des quenelles ou autres panés de poisson. J’espère que cet article y contribuera!

Du côté des difficultés, elles ne manquent évidemment pas. Il y a deux ans, lors de la forte sécheresse, 60% à 70% des étangs étaient vides. On peut imaginer l’impact économique, et en matière d’environnement par ailleurs. Le changement climatique avec la multiplication des sécheresses menace clairement ces activités ancestrales. A plus court-terme toutefois, nous avons aussi parlé de la multiplication des oiseaux piscivores (les quelques cormorans, cigognes, mouettes, hérons) qui ont fait chuter la production de 500 kg/ha à près de 200 kg/ha en dix ans. Nous avons évoqué la multiplication parfois incontrôlée des ragondins, espèce invasive qui détruit son milieu naturel, et qui pose un problème de santé humaine (leptospirose). Enfin, certaines plantes exogènes apparaissent dans le milieu, comme la jussie qui couvre la surface de l’eau et empêche le renouvellement de l’oxygène.

Bref. Cette visite, avec un accueil très chaleureux, était remarquable. Nous avons appris beaucoup de nouvelles choses. Nous avons ainsi poursuivi des échanges passés sur l’importance de la régulation d’une partie des animaux pour les besoins de l’agriculture, dans une certaine mesure, permettant ainsi de maintenir un équilibre biologique et une production agricole satisfaisante. L’histoire des mille étangs de la Dombes mérite d’être davantage racontée, notamment chez nous à Lyon.

Ferme du caban, Châtelard (Savoie)

Du côté de nos visites d’éleveurs, nous sommes allés à la rencontre d’Isabelle dans sa ferme du caban. Avec deux associés et une salariée, elle y élève respectivement une quarantaine de brebis et de chèvres. Sa conversion bio s’est opérée de 2020 à 2022, ainsi qu’une autre conversion, celle de faire de la transformation en propre. Ici, ce sont des yaourts de brebis ou de chèvre (ou les deux !) qui sont produits. Cela nécessite de l’investissement pour le labo, la chambre-froide, ainsi les équipements pour fonctionner via des pots consignés (et laver les pots), mais cela se rentabilise plutôt bien. Nous notons qu’effectuer une première étape de transformation est un leitmotiv chez beaucoup d’éleveurs désormais. Cela permet de valoriser correctement leur lait, sans se faire écraser par les grandes entreprises laitières ou la grande distribution.

Astuce : pour la laine de ces bêtes, il n’y a que peu de débouchés locaux, mais elle peut aussi servir au paillage pour le maraichage personnel.

Ferme du chêne, Lescheraines (Savoie)

A proximité, nous sommes allés voir la ferme du chêne où Magali et sa famille élèvent une vingtaine de vaches laitières, avec leurs veaux. Là encore, les 100 000 litres de lait sont 100% transformés localement en beurre, skyr, lait, yaourts et autres crèmes-desserts. Là encore, les pots consignés en verre ont été mis en place, avec un très bon taux de retour volontaire des clients, principalement issus de deux marchés. Valoriser en propre permet de valoriser deux fois mieux la production laitière par rapport à la vente à la coopérative locale, c’est dire que ce modèle va se développer ! Du côté des veaux, Magali a souhaité éviter leur trajet lointain vers l’Espagne où les engraisseurs peuvent les amener. Elle a trouvé une solution pour les nourrir avec différents aliments, dont son lait écrémé. Cela permet aux veaux de grandir ici, et d’être abattus à proximité immédiate, à côté de Chambéry.

Ferme Balthassat, Bonne (Haute-Savoie)

Dans la banlieue de Genève, et proche d’Annemasse, nous sommes d’abord allés voir Raphaël, producteur céréalier et éleveur bio (depuis 2008). Ces 300 000 litres de lait sont transformés dans la fruitière du coin pour fabriquer du Reblochon. Quant aux céréales, il cultive du blé, de l’orge, du seigle, du sarrasin. Il produit des semences paysannes, parfois anciennes et s’essayent à des croissements pour profiter du meilleur nutritionnel et gustatif de l’époque, et fonctionnel de la modernité, tout en améliorant sa résilience face au changement climatique. Une partie de sa production est transformée localement grâce au petit moulin dans lequel il a investit. Cela lui permet de produire près de 300 kg de farine bio et de qualité par semaine. Certains disent même que ce mix de variétés céréalières permettraient à des personnes intolérantes au gluten de remanger du pain.

Avec lui, nous avons aussi beaucoup pris de la hauteur sur les enjeux et menaces de l’agriculture. Si la bio réduit les rendements par unité de surface et culture égale, elle préserve d’une part notre santé et l’environnement, d’autre part, elle permet aussi au paysan d’avoir de moindres charges, et ainsi de moindres variations de charges, en s’affranchissant des divers engrais de synthèse et produits phyto.

Et puis nous avons parlé de l’agglomération genevoise. Annemasse est devenue la banlieue de la métropole suisse, avec une urbanisation galopante grignotant des terres parfois très fertiles. De multiples combats locaux ont pu être gagnés, contre des projets de golf, de lotissement, ou encore d’autoroute. Certaines parcelles ont pu être classées, sécurisant ainsi davantage les terres et leurs paysans. Enfin, nous avons évoqué le méga-projet du CERN, un nouvel accélérateur de particules qui passerait 200 mètres sous sa ferme, et avec beaucoup de questionnements associés dans le milieu agricole. Le projet ira probablement au bout, compte-tenu de son portage européen, mais impactera des terres fertiles, a minima au niveau des puits de sortie (accès, bureaux, parkings, etc.).

Pensée sauvage (Haute-Savoie)

Juste à côté, nous avons rendu visite à plusieurs maraichers qui produisent ici en bio depuis 2011 sur quelques hectares. Ici, les quatre salariés produisent des légumes et des plantes aromatiques qu’ils vendent 100% en AMAP avec un calcul du prix relatif au temps de travail, plus qu’en regardant les fluctuations des prix du marché. Avec eux, nous avons discuté du passage à l’échelle du maraichage bio, de la rareté croissante de la ressource en eau, y compris dans les territoires autour d’Annemasse, et enfin du partage des semences paysannes.

Moulin Nicolas (Ain)

Nous avions souhaité faire un focus particulier sur les pratiques céréalières pour cette édition 2025, c’est chose faite également en rendant visite aux exploitants du Moulin Nicolas dans l’Ain. Cette ferme de « seulement » 40 ha produit une diversité de céréales (blé, maïs, colza, etc.) et possède, comme son nom l’indique, un moulin pour la transformation. Une dizaine de tonnes de farine sont ainsi produits ici. En complément, transformées en propre, ce sont des pâtes et des huiles qui sont fabriquées sur la ferme. En parallèle, les outils de transformation sont mis à profit d’autres producteurs céréaliers. Ainsi, de la farine blanche est par exemple importée pour fabriquer des pâtes blanches, davantage demandées que celles semi-complètes ou complètes.

Jusqu’ici, Moulin Nicolas était en bio. Il a décidé de se déconvertir récemment, à cause de la multiplication des pluies « au pire moment ». Il arrive de plus en plus fréquemment, sans que cela ne soit le cas annuellement, que la pluie soit forte au moment où la graine de blé germe et commence à pousser. A ce moment-là, la céréale est en concurrence avec les « mauvaises herbes » qui, si elles prennent le dessus, peuvent fortement impacter le rendement. Voilà la raison de sa déconversion. Il souhaite pouvoir utiliser (tout en respectant le cahier des charges sur tous les autres aspects) du désherbant lorsque cela arrive. A noter que, compte-tenu de sa surface modeste dans le référentiel céréalier, il n’a qu’une capacité limitée à faire de la rotation, qui permettrait elle de « nettoyer et nourrir le sol » avec des cultures de rotation (et la présence de bovins).

Croq’bauges et Abeille Verte (Savoie)

Pour casser la croûte et continuer les échanges avec des acteurs locaux de l’alimentaire, nous avons fait halte en début de séjour chez Croq’bauges, magasin de producteurs bio, en présence d’un maraicher-apiculteur. Nous avons échangé avec elles et eux sur la « guerre du foncier » en montagne entre l’élevage et le maraichage, les activités de tourisme dans le PNR, les impacts de la « métropolisation » de Genève qui impacte les usages (habitat, mobilités domicile-travail, etc.) jusqu’à Annecy et dans les Bauges, etc. C’était un échange nourri pour comprendre les enjeux locaux sur le plateau.

Nous avons évidemment abordé le concept de Croq’bauges. Cette SCIC associant les producteurs, lancée en 2014, n’est pas qu’un magasin de producteurs, c’est aussi un lieu de solidarité. A l’instar des « Petites cantines » chez nous, le concept « Tous à table » permet aux habitants de venir cuisinier dans un espace dédié et de partager un bon moment de préparation et de dégustation. C’est une activité appréciée et peu fréquente en milieu rural, à développer !

LezTroy / LezSaisons (Haute-Savoie)

Parmi les acteurs de la transformation, nous sommes allés rendre visite à la légumerie LezSaisons. Elle fait partie de la société LezTroy qui possède tant cette légumerie que plusieurs cuisines centrales pour la restauration collective. En bref, l’approvisionnement principal depuis les producteurs se fait en direction de la légumerie qui prépare les patates, carottes et autres légumes dans le format souhaité (format frites ou rondelles, etc.), puis livre les diverses cuisines centrales. Ces dernières, dont une attenante à la légumerie, préparent ensuite les recettes, en cuisant et assaisonnant les aliments bruts. Enfin, la livraison est faite en liaison froide vers des écoles et autres établissements. Ainsi, l’entreprise est tant prestataire de restauration collective qu’actrice de la transformation alimentaire.

Ce qui était particulièrement intéressant pour nous dans les échanges était le fait qu’il s’agit là d’un acteur tourné plutôt vers des petites et moyennes communes, et que c’est principalement lui qui a été force de proposition. Par exemple, sur l’instauration de repas végétariens, de fromage à la découpe (et non industriels), de bio et local (aujourd’hui 44% bio, 15% label, 50% de producteurs de savoyards), c’était LezTroy qui était à la manœuvre. Chez nous à Lyon, ces exigences étaient portées en début de mandat dans le nouveau cahier des charges travaillé en interne. Autre différence, à Lyon la diététique (comprendre, l’équilibre des menus) est travaillée en interne, là où l’entreprise possède une équipe de diététiciens.

La visite de l’outil de transformation était intéressante, à l’instar de celle déjà effectuée en 2023 en Isère. On retrouve certaines machines de lavage et de découpage. On retrouve aussi les mêmes efforts pour réduire l’impact environnemental, à travers le bio-local bien-sûr, mais également la baisse de la consommation d’eau (de 14 L/kg à 6 L/kg de légume) ou la valorisation des déchets (les épluchures seront méthanisées). Là encore, cette visite nous a fait comprendre l’importance de la chaine agro-alimentaire, et en particulier de l’importance d’avoir les bons outils de transformation sur les territoires, sans quoi les débouchés ne seront pas disponibles pour les paysannes et paysans.

Jardin d’Aestiv (Ain)

Parmi les plus importantes visites de cette édition était le passage chez Benoit qui a cocréé en 2013 à la sortie de leurs études avec une collègue de l’ISARA (Lyon) la ferme des jardins d’Aestiv. Assurément une ferme modèle où les deux ingénieurs agronomes appliquent les principes de « bon sens » de l’agroécologie. Autrement dit, une vision systémique sur l’ensemble des activités de la ferme, avec une attention particulière pour la faune et la flore, la santé des sols, la qualité de la production, les émissions de CO2, etc.

Les débuts étaient ambitieux avec 50 ha de terres, qui au fur et à mesure du développement se sont transformées en près de 300 ha aujourd’hui. L’activité principale repose dès le début sur les céréales sur plus de la moitié de la surface, en lien avec une partie d’élevage (surtout bovin et porcin, arrêté depuis). Le principe de la culture céréalière suit celle de l’agroécologie avec la plantation de 15 variétés différentes de céréales et de légumineuses. Une sortie du modèle où l’on retrouve seulement le maïs, le blé et l’orge. Ici, on retrouve du blé, du sorgho, du millet, du maïs, du pois chiche, de la lentille verte, du sarrasin, et bien d’autres. Tout est bio, et en l’occurrence même labellisé Bio Cohérence plus exigeant que la norme européenne, et intégrant notamment des enjeux de santé et de préservation des sols.

Ce qui prime ici est l’équilibre de l’écosystème. Des arbres et des haies bien-sûr, mais aussi la rotation des cultures. C’est là où la complémentarité entre cultures céréalières, terrains en rotation et bovins prend tout son sens. Sur les terrains non cultivés, de la luzerne et du trèfle permettent de nourrir les sols en azote. Les bovins, en rotation sur ces parcelles, pâturent et mangent ce qu’ils y trouvent. Cela contribue à la bonne santé du sol, supprimant toute « mauvaise herbe » naturellement, tout en regénérant les sols et en nourrissant les bêtes.

Sans surprise, la transformation en propre fait partie dès le début du projet. Benoit et ses collègues ont démarré avec de petites activités d’huilerie et de meunerie. Les bouteilles ou sacs sont ensuite vendus aux magasins, épiceries, boulangers, etc. Du côté des légumineuses, c’est aussi la restauration collective régionale via des grossistes bio qui en bénéficie. Afin d’augmenter leur résilience, sécuriser le modèle économique et éviter de longs trajets (et émissions) de camions vers le département de la Marne, les exploitants lancent un projet de ligne de tri. Cet outil de transformation leur servira en propre, mais sera également à disposition des paysans du coin. Là encore, c’est un outil essentiel et souvent oublié, surtout si on souhaite développer des légumineuses et autres céréales « nouvelles », comme le prévoit entre autres le « plan protéines végétales » national. La ligne de tri permettra la valorisation de l’ensemble des cultures, y compris les variétés les moins demandées aujourd’hui, et assurera enfin le conditionnement des légumineuses et céréales.

Avec Benoit et Maryll, nous avons aussi pris de la hauteur. Je dois dire que ces échanges étaient aussi denses que riches, et j’aurais aimé les continuer pendant encore quelques heures. Nous avons par exemple évoqué l’insécurité économique forte à laquelle font face les paysans, par exemple lorsque le prix des céréales bio payé au producteur a chuté de moitié en deux ans, avec pourtant un prix inchangé pour le consommateur. L’amont doit s’adapter et la grande distribution a amplement gonflé ses marges… Autre échange utile, celui sur la guerre en Ukraine et la potentielle entrée de l’Ukraine dans l’UE. Compte-tenu de la taille et de l’importance de la production agricole ukrainienne à bas coûts, c’est un sujet politique majeur, à anticiper, qui nécessiterait probablement une remise à plat complète de la PAC, et avec un vrai risque de déstabiliser durablement les paysans des pays d’Europe de l’ouest.

Enfin, nous avons évoqué les choix stratégiques à faire au niveau national. Fixer une priorité claire et cohérente entre souveraineté alimentaire (autrement dit, nourrir d’abord en qualité la population française et/ou régionale) et volonté d’avoir une économie d’export. Nous avons abordé les récents travaux de la Fondation Terres de liens ou de la grande consultation The Shift Project qui fait du bien dans le milieu. Notons qu’une large majorité de paysans souhaitent prioriser la souveraineté alimentaire sur les logiques d’export ou de productions pour des agro-carburants. Ce qui est terrible, c’est que nous observons aujourd’hui des politiques incohérentes et peu claires sur l’objectif réel. Ce qui est certain, c’est que beaucoup de discours politiques portent sur la préservation de l’agriculture, mais que beaucoup de partis politiques portent ensuite sur les sujets économiques (export, urbanisation, régulation, fiscalité, etc.) des mesures contraires aux intérêts du travail des paysans, et ainsi contraires de l’alimentation et de la santé des Françaises et des Français.

Une solution évoquée ensemble dans nos échanges est celle évoquée lors de la « crise agricole » de 2024 par de nombreux paysans (et peu défendue par les syndicats majoritaires). Elle a deux volets, les prix garantis (ou prix-plancher) et l’encadrement des marges. Seule la loi peut nous aider, nous dit-on. Le message est clair.
Nous avons poursuivi la réflexion sur un revenu de base paysan, fait le constat qu’un lancement de projet agricole nécessite un capital deux à trois plus élevé à CA équivalent en comparaison avec d’autres métiers, ou encore échangé sur la taille des cheptels (une proposition étant de dimensionner les monogastriques en fonction du volume de déchets et co-produits agricoles nationaux ; et de maintenir en nombre le cheptel bovin de plein-air en cohérence avec des rotations céréalières pour la préservation des sols).

Bref, il y a du pain sur la planche en matière de politiques publiques nationales et européennes. La bonne nouvelle, c’est que sans espérer une révolution agro-écologique de la PAC (renouvelée en 2023), un paquet de mesures nationales permettrait d’aider les paysans. Beaucoup de partis les refusent, ce qui me conforte dans l’idée que c’est bien l’écologie politique qui permet de répondre de la manière la plus cohérente aux différents enjeux (économiques, sociaux, sociétaux, environnementaux, et ici agro-alimentaires).

Pôle Excellence Bois, Annecy (Savoie)

Last but not least. Parmi les acteurs majeurs à la montagne, et plus généralement dans les campagnes, il y a les professionnels de la filière forêt-bois. Autrement dit, les exploitants forestiers, les bûcherons, les scieurs, menuisiers, et puis promoteurs, artisans et architectes. Nous avons donc rencontré l’interprofession des deux Savoie, le Pôle Excellence Bois à Annecy. Sur les deux départements, la filière estime le nombre d’emplois à 10 000. Et les enjeux ne manquent pas, entre préservation de la forêt, biodiversité, problèmes de recrutements et usage (en croissance) du bois d’œuvre (dans les constructions).

J’avais déjà eu l’occasion d’échanger en 2024 lors des journées des ruralités écologistes sur la filière forêt-bois. On peut le dire, c’est un sujet passionnant, tant les enjeux s’entrecroisent. Le sujet du recrutement difficile des « métiers de l’amont » revient à chaque fois. On a du mal à créer des vocations de bûcherons, de forestiers, etc. La question de la problématique de la récolte du bois revient aussi. Les créneaux sont limités, entre la géographie, la neige, les usages estivaux (randonnée, VTT, etc.) et la disponibilité des professionnels. Des tests sont engagés pour éviter de devoir faire des chemins forestiers parfois compliqués et impactants, avec des ballons captifs ou encore des dirigeables stationnaires. J’avais eu l’occasion en 2021 de rencontrer un représentant de l’entreprise française Flying Whales, et nous avions évoqué le sujet de la récolte du bois. Rien n’est encore certain techniquement, les essais continuent donc…

Et puis nous avons abordé le sujet de l’adaptation de la forêt au changement climatique, l’enjeu de renouvellement des essences pour s’adapter aux nouvelles conditions pédo-climatiques. Nous sommes rapidement arrivé sur le sujet du bois dit scolyté. Avec le changement climatique, nos forêts et surtout les épicéas sont ravagés par un insecte qui s’appelle le scolyte. Le bois devient bleuâtre, et c’est aussi ce phénomène qui est l’œuvre lorsqu’on constate la « grisaille » des forêts. De récentes études de l’ONF avec les centres techniques ont montré que le bois scolyté était, malgré son apparence, un bois aux propriétés mécaniques compatibles avec la construction. Nous avons donc échangé avec les représentants sur les enjeux à ce que les promoteurs ou maitres d’ouvrage acceptent, voire demandent et testent du bois scolyté. Certains projets pilote ont d’ailleurs lieu à Lyon à ce sujet !

Ces échanges sur toute la filière dans les deux départements nous ont permis de bien cerner l’ensemble des enjeux pour une filière aux multiples métiers et aux nombreux emplois. Les enjeux sont transversaux, et c’est ce qui rend l’enjeu politique de s’approprier le sujet forêt-bois d’autant plus important pour nous.

Voilà la fin de cet auragritour 2025, rendez-vous au prochain ?