Un enjeu particulier de la transition des mobilités, c’est l’évolution de la mobilité longue distance. On parle ici des trajets de plus 100 km, parfois même allant jusqu’à plusieurs milliers de km. En moyenne, un français fait aujourd’hui 4,2 voyages aller-retour par an, surtout pour motifs personnels, et pour une distance totale moyenne de 5100 km [1]. Aujourd’hui, l’usage de la voiture thermique est largement majoritaire, à l’exception de très longs trajets où l’avion prend le dessus. La part modale du train est la plus élevée pour les trajets de 300 à 600 km.
Face à l’urgence climatique, l’enjeu premier est de réduire les kilomètres parcourus, qui plus est en utilisant des modes de déplacements très carbonés. Il y a donc une réflexion à avoir autour de la sobriété concernant le nombre de voyages et leurs destinations, que ce soit à titre privé ou professionnel. On voit toutefois d’autres enjeux, comme l’usage de moyens peu carbonés pour ces trajets de longue distance, et une approche totalement différente quant à la durée des séjours.
D’une manière générale, ce sujet fort intéressant mérite une réflexion plus poussée sur la longue distance, ce que ne fera pas cet article illustré. Il s’agit de questionner les raisons et la typologie des voyages de longue distance, mais aussi de réfléchir à la place du tourisme continental et international dans un monde décarboné et plus juste : quel volume de tourisme est possible et souhaitable, tant par rapport aux enjeux d’impacts positifs et négatifs des voyages, que d’impacts positifs et négatifs sur les territoires touristiques ? Quelles règles communes sur les voyages aériens, particulièrement polluants ? Quelle place pour les voyages familiaux dans un monde de plus en plus binational et biculturel ? Bref, le sujet plus général du tourisme dans un monde soutenable est une question qui, à mon sens, mériterait des débats et études bien plus poussées que les travaux dont nous disposons aujourd’hui.
Revenons-en à notre mobilité longue distance, en tout cas celle qui se fera toujours dans les décennies à venir. L’enjeu de décarbonation est colossal, alors quelles alternatives avons-nous face à la voiture thermique et l’avion ?
La réponse classique : le train, l’autocar et le vélo

La réponse classique est évidemment celle proposant un recours aux modes existants et déjà performants. On pense aux trains, aux autocars et au vélo ! Pour un voyage longue distance, alors qu’un kilomètre parcouru en avion émet 128 gCO2/p.km et que la voiture (thermique) émet 105 gCO2/p.km, nous en sommes à 58 gCO2/p.km pour les autocars et à 8,5 gCO2/p.km pour le train [2].
Ce qui est intéressant avec le train et l’autocar, c’est que les trajets peuvent se faire de jour comme de nuit. L’engouement pour les trains de nuit est total et de nombreuses compagnies ferroviaires investissent en ce sens, par exemple en Europe la compagnie autrichienne ÖBB avec leurs « Nightjets ». Cela permet d’envisager différemment les voyages privés, mais également les voyages professionnels (arrivée le matin, une nuit d’hôtel en moins, etc.). Du côté des autocars, les trajets de nuit existent et ont le vent en poupe un peu partout. Une différence notable existe toutefois : en Asie ou en Amérique du Sud, les autocars de nuits sont de véritables autocars de nuits avec de (très) gros sièges réglables, voire de réelles couchettes. Si aujourd’hui la législation européenne en matière de sécurité l’interdit, les conditions pour rendre cela possible mériteraient assurément d’être creusées davantage.
Enfin, le cyclotourisme permet également de faire des dizaines voire centaines de kilomètres. C’est une activité de plus en plus prisée car peu onéreuse, très flexible et bonne pour le climat ! Le réseau de véloroutes, « Eurovélo » ou autres, permet de planifier des itinéraires confortables et appréciés.
La voiture électrique sobre et légère

Il est évident, en particulier pour celles et ceux habitant en ruralité ou dans des petites villes non desservies par des trains ou autocars, que l’usage de la voiture personnelle sera maintenu, tant pour certains trajets du quotidien que des voyages de longue distance. Pour atteindre les objectifs de décarbonation, l’ensemble de ces trajets devront se faire avec des véhicules moins carbonés, comme les véhicules électriques. Mais pas n’importe quel véhicule électrique. Plutôt des véhicules sobres, légers et de taille modeste. L’enjeu ici est de limiter le besoin en métaux, la consommation énergétique et la fabrication de grosses batteries. Le corollaire de cela, c’est que l’autonomie sera compatible avec les besoins quotidiens, mais potentiellement insuffisantes pour la longue distance.
Aujourd’hui, les constructeurs tablent sur des batteries de plus en plus grosses, alourdissant et agrandissant les véhicules. Ils tablent aussi sur les réseaux de bornes financés par les collectivités et/ou les sociétés de gestion autoroutières pour établir un maillage suffisant. Pour éviter ces grosses batteries et limiter le besoin d’installation coûteuse de bornes de recharge avec un maillage extrêmement fin du territoire pour desservir tout le monde, une alternative serait d’avoir à disposition des remorques à batteries. Une remorque qui se brancherait facilement sur un véhicule électrique sobre et léger et qui permettrait d’avoir une autonomie suffisante pour son voyage. Certaines entreprises, notamment françaises, travaillent actuellement ce sujet.
En voilier contre vents et marées

Pour remplacer l’avion, notamment pour des trajets intercontinentaux, il nous faut d’autres solutions. Et pourtant il nous faut absolument des solutions autres que la chimère de « l’avion vert » fonctionnant aux carburants de synthèse. Dans les volumes actuels, et y compris s’ils étaient fortement réduits, cela n’est pas crédible, notamment à cause du besoin gigantesque en électricité pour fabriquer ces carburants « e-fuels » [3].
Pourtant nous devons agir, car l’avion est extrêmement polluant. Par heure de transport, ou encore par trajet, il est même plus de 10 fois plus polluant que la voiture [4].
Une alternative pour malgré tout traverser les mers et océans, c’est de parcourir son voyage en voilier. En l’occurrence, plusieurs sociétés se lancent déjà sur ce créneau avec des voyages réguliers, comme l’entreprise bretonne Sailcoop qui propose des voyages vers la Corse, les Antilles ou au sein des îles bretonnes.
Cela participe d’une tendance qui ne tient qu’à se développer : le slow-travel ! Prendre le temps de voyager, d’une part pour limiter les pollutions associées aux voyages réguliers de type « city-trip », d’autre part pour vivre, sentir, profiter réellement des endroits à découvrir.
La renaissance du dirigeable

Le dirigeable était un des principaux moyens de déplacement longue distance au tout début du XXe siècle. Puis, avec l’avènement de l’avion tel que nous le connaissons aujourd’hui, le dirigeable a disparu des airs.
Le crash documenté du LZ 129 Hindenburg le 6 Mai 1937 lors de l’atterrissage à Lakehurst aux Etats-Unis aura, à l’époque, rajouté une pièce dans la machine du discours de l’avion efficace et sûr. Mais si l’on regarde les dirigeables de plus près, on note plusieurs points forts intéressants pour envisager le voyage aérien longue distance dans un monde où l’avion actuel aura dû fortement restreindre son envol.
Le LZ 129 Hindenburg était le plus grand dirigeable au monde avec le LZ 130 Graf Zeppelin. Avec sa longueur de 245 m et son diamètre maximal de 41 m, c’était un objet flottant d’une très grande envergure.
Son autonomie ? 12 000 à 16 000 km, soit la distance entre Paris et Bali.
Sa vitesse de croisière ? Environ 120 km/h.
Sa faiblesse ? L’emport de 72 passagers dans un service plutôt haut de gamme avec le besoin d’embarquer près de 60 personnels.
Je suis persuadé que les dirigeables peuvent revenir au goût du jour pour le transport de passagers. Si la société française Flying Whales table pour l’instant sur le fret, les anglais de Airlander comptent construire des dirigeables pour le transport de passagers. Une première ligne Liverpool-Belfast serait en discussion avec la possibilité d’emporter 90 passagers dans le nouveau dirigeable Airlander 10. Un voyage largement décarboné, avec 90% d’émissions en moins par rapport à l’avion, selon les anglais.
Si nous arrivons à mettre l’innovation du dernier siècle au service des dirigeables du XXIe siècle, alors leur renaissance sera à portée de main. On peut penser à des innovations en matière de propulsion, de matériaux, de structure générale, etc. Les dirigeables seront un mode de transport peu carboné, une vraie alternative et une expérience de voyage inoubliable !
Et quid des marchandises ?

Aujourd’hui, le transport longue distance de marchandises se fait par camions, bateaux à containers, avions ou trains. Les enjeux sont différents du transport de passagers, et pourtant nous devons ici aussi décarboner la logistique. En matière d’impact écologique, on réduit souvent la pollution à chaque unité transportée (par ex. un vêtement, un véhicule ou un ordinateur), ce qui tend à fortement nuancer l’impact du transport. Toutefois, c’est aussi en absolu qu’il faut analyser la situation et là, l’impact des porte-conteneurs, semi-remorques ou avions est gigantesque.
Demain, on pourra naturellement (re)développer le fret ferroviaire qui a fortement souffert du pétrole bon marché, de la libéralisation des secteurs et du soutien public aux infrastructures routières. On voit, ne serait-ce que chez nos voisins suisses, que ce déclassement du fret ferroviaire n’est pas une fatalité.
Il sera également possible d’utiliser des dirigeables pour certaines opérations, notamment en montagne, dans des archipels et autres. Par ailleurs, au niveau maritime, ce sont les voiliers cargo qui pourraient bien avoir le vent en poupe ces prochaines décennies. Plusieurs entreprises françaises se lancent dans ce domaine, comme Grain de sel (voyage transatlantiques pour le chocolat [5]), Windcoop (une première ligne Marseille-Madagascar est prévue [6]) ou encore l’imposant navire Canopée de l’ESA (décarbonation de la logistique associée à la fusée Ariane 6 [7]). Ce qu’on note à chaque fois sont des innovations sociales et des innovations technologiques sur les voiliers. Ces dernières se retrouvent également dans l’innovation Beyond the sea soutenue par les investisseurs Team for the Planet, réduisant la consommation de gros porteurs grâce à de gigantesques voiles [8].
Enfin, concernant la route, des projets de trolley-camions émergent afin de significativement réduire le besoin en carburant, qu’il soit fossile, bio ou électrique via hydrogène. Le principe est simple : à l’instar des trolleybus bien connus à Lyon, et d’autres villes du monde entier, les remorques seraient tirées par de nouveaux engins hybrides, permettant de se connecter sur l’autoroute à un système de ligne aérienne de contact, alimentant leurs moteurs électriques. Cela permet dans certains territoires de maintenir l’avantage compétitif du poids-lourd, capable de faire du « porte-à-porte », tout en réduisant la consommation énergétique.
Sources :
[1] Fiche mobilité longue distance, PTEF 2021, The Shift Project, https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/04/TSP-PTEF-V1-FL-Mobilite-LD.pdf
[2] Thèse Aurélien Bigo avec des données Ademe et ENTD, http://www.chair-energy-prosperity.org/wp-content/uploads/2019/01/These-Aurelien-Bigo.pdf
[3] https://www.novethic.fr/actualite/energie/mobilite-durable/isr-rse/lufthansa-estime-qu-il-devra-consommer-la-moitie-de-l-electricite-allemande-pour-voler-vert-151783.html
[4] Op. cit.
[5] https://graindesail.com/fr/content/22-nos-voyages-transatlantiques
[6] https://www.wind.coop/
[7] https://www.esa.int/ESA_Multimedia/Images/2023/11/Canopee
[8] https://team-planet.com/fr/innovations/125-beyond-the-sea?applied_filters%5Bstatus%5D=star
Un avis sur « La mobilité longue distance: une prospective illustrée »
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