Tout comme pour l’auragritour 2023, nous avons pris notre bâton de pèlerin avec Fanny Dubot et Gautier Chapuis pour aller à la rencontre de celles et ceux qui nous nourrissent. L’idée est toujours la même, rencontrer les paysans, observer et comprendre comment fonctionne notre système agricole et agro-alimentaire. Après l’Isère, la Drôme, l’Ardèche et un bout du Rhône, nous voilà dans une autre partie de la Région Auvergne Rhône-Alpes : Haute-Loire, Puy-de-Dôme et un bout du Rhône.
Ce furent encore des échanges très riches, très intéressants. Nous sommes allés voir des acteurs cultivant ou traitant des légumineuses, des végétaux très protéinés et permettant de nourrir le sol en fixant l’azote de l’air. Nous sommes également allés voir des éleveurs, ou encore des outils de transformation alimentaire. Ce que l’on voit surtout, c’est qu’il y a bien DES réalités très différentes au niveau des agriculteurs, selon l’activité exercée ou le lieu et les conditions d’exercice.
GAEC de l’Espargette (Haute-Loire)
Nous avons rencontré Claude sur sa ferme bio. Il est éleveur de cochons en plein air et de brebis et d’agneaux et cultive des légumineuses (pois chiche, lentille corail, haricot rouge) et quelques céréales. Quatre personnes travaillent ici au service de la terre et des bêtes. Les 75 ha de terres font notamment l’objet d’une rotation importante entre cultures : les cochons, les légumineuses, et certains types de blés, notamment afin de « dépolluer » la terre après le passage des cochons. Au total, c’est une rotation des champs sur 7 ans qui se met en place pour préserver les équilibres biologiques. Nous avons eu des échanges nourris sur l’élevage, les aides de la Politique Agricole Commune (PAC) sur les céréales ou encore les brebis, le plan loup, l’agriculture de conservation, etc.
Les échanges étaient notamment très éclairants sur l’impact de la PAC dans les choix et le quotidien de nos agriculteurs. Elle subventionne massivement la culture de céréales, d’élevages de certains types avec leurs prairies associés, ou encore la culture de légumineuses destinées à l’alimentation des bêtes. En revanche, elle ne soutient pas particulièrement la culture de légumineuses destinées aux humains. C’est là où la PAC actuelle dérive totalement des objectifs d’une agriculture diverse, nourricière, intégrée dans les limites du vivant. Sans les aides de la PAC, ou avec des énergies fossiles bien plus chères, Claude ferait probablement pousser des choux raves ou betteraves pour nourrir les cochons.
Fun fact : « l’agneau de Pâques » est une fausse idée, alors même que les agneaux naissent en hiver et que leur abattage se situe davantage proche de l’été !

Maraichage bio (Haute-Loire)
Nous avons profité de notre passage dans la région pour aller voir la ferme bio de Renaud Daumas, conseiller régional écologiste. Sur 6 ha, il y cultive avec ses co-gérants des légumes, des arbres fruitiers, des plantes aromatiques. Il fonctionne avec de la traction animale et est autonome en terreau grâce au fumier de cheval. Il applique également le principe de l’engrais vert, c’est-à-dire une rotation d’une culture cible avec une culture riche et diversifiée ayant pour objectif d’être incorporée par rotavator dans le sol pour le nourrir. Enfin, la conservation temporaire de ces légumes récoltés ne nécessite pas de chambre froide, appliquant le principe du silo en tranchée : on conserve certains types de légumes dans la terre, en régulant l’humidité et en l’entourant de fougères ou autres plantes.


Gourmandélice (Haute-Loire)

Nous sommes également aller voir l’atelier de fabrication de Gourmandélice, une conserverie végétale. Faisant suite à un projet de reconversion, les gérants se sont lancés dans de la (petite) production maraichère et ont surtout fait construire un atelier pour produire des vinaigres, des tartinables, des pickles, des confitures, des liqueurs et j’en passe.
Si certains légumes comme les courges, courgettes ou potimarrons sont cultivés en propre, Gourmandélice fait également appel à des maraichers locaux, bio ou non, pour compléter l’approvisionnement en produits bruts. La vente se fait en direct ou via les épiceries régionales.
Sabarot (Haure-Loire)
D’un petit atelier à une grande installation de transformation alimentaire. Nous avions rendez-vous avec l’entreprise familiale Sabarot, présente depuis plus de 200 ans en Haute-Loire. Sabarot a de multiples activités : lavage, tri, cuisson, surgélation, conditionnement. Leur cible concerne surtout les légumineuses, les céréales, les champignons sauvages. En toute logique, nous avons parlé de la lentille verte du Puy, mais nous avons aussi évoqué les pois chiches, le petit épeautre (du Velay) et d’autres. La plupart sont récupérés en filière directe auprès d’agriculteurs locaux ou français. D’autres légumineuses peuvent être issus de l’étranger comme la lentille corail, ou encore le quinoa en Amérique du Sud qui a fait l’objet d’une structuration de filière par l’entreprise.
Sabarot participe aussi à la construction ou à la pérennisation de filières régionales. Nous avons ainsi pu partager les grands efforts de la Ville de Lyon à travers sa restauration scolaire visant le 100% BIO et 50% local. Ce qui a également permis de discuter de la nécessaire structuration de filières régionales pour assurer des débouchés et permettre une transition pérenne vers des pratiques agroécologiques. Concernant la lentille verte, nous avons ainsi pu échanger autour de l’impact du changement climatique et de l’appauvrissement des sols sur les rendements de la lentille. Les aides céréalières de la PAC n’aident pas non plus, mettant en compétition notamment le blé avec les légumineuses régionales. D’autant plus que les légumineuses à destination des humains ne sont pas aidées par la PAC, comme nous avons pu le voir précédemment…
La visite de leur outil de travail a été pour nous un moment impressionnant. Le site est imposant et a fait l’objet au fil des dernières années, notamment avec le plan France Relance, de rénovations et d’extensions, par exemple pour le stockage final ou le tri des lentilles. Il s’agit d’un site 4.0 avec une automatisation très avancée, en particulier pour le transport de palettes au sein du site via de petits robots. Les chaines de tri, de cuisson ou encore de conditionnement le sont tout autant.
La modernité de l’outil permet d’obtenir des gains de sobriété en matière d’usage de l’eau ou d’énergie. La surgélation se fait en circuit fermé. D’autres activités se font logiquement en circuit ouvert, et peuvent ainsi être impactées par les arrêtés sécheresse de la préfecture. Dans ces cas, la production est ralentie ou mise à l’arrêt pour préserver la ressource en eau du territoire. C’est déjà arrivé, et ce sera amené à s’amplifier dans les prochaines années !

Les Ferrandaises (Puy-de-Dôme)
Du côté du Puy-de-Dôme, nous sommes allés à la rencontre de Alain, président de l’association de préservation de la race ancienne des ferrandaises. En collaboration avec la mairie de Clermont et d’autres communes, la viande ferrandaise a pu être servie dans les cantines scolaires de la Métropole clermontoise pendant un déjeuner. L’objectif de l’association est de maintenir la diversité des viandes bovines, alors même que la période d’après-guerre a conduit à la généralisation de 5 races. Ainsi, le cheptel français de ferrandaises est passé de 140 000 avant la Seconde Guerre Mondiale à 3600 vaches aujourd’hui.
Un objectif spécifique des éleveurs engagés est de pouvoir réintégrer cette race dans la production des fromages du terroir, comme cela était le cas traditionnellement. Le Saint-Nectaire est une cible particulière…

Saint-Nectaire AOP (Puy-de-Dôme)
Logiquement, on poursuit notre visite en allant à la rencontre de Sébastien, éleveur et producteur de Saint-Nectaire fermier. Il est par ailleurs président de l’AOP Saint-Nectaire, la plus grande AOP fermière d’Europe en matière de tonnage. L’Appellation d’Origine Protégée permet de garantir la qualité du fromage et son origine. Chez Sébastien, six personnes travaillent au service des 46 vaches présentes à la ferme. L’hiver, elles sont à l’intérieur, tandis qu’à l’été, elles passent leur temps dans les prairies au sommet de la montagne. Pour éviter un transport inutile, la traite se fait de manière mobile, où que soient les bêtes.
Par ailleurs, Sébastien cultive sa résilience. Avec ses terres, il est autonome en foin et arrive même à créer des stocks de sauvegarde pour résister aux fortes sécheresses en cours et à venir. Il mise également progressivement sur les ferrandaises. D’un gabarit moins important que les montbéliardes, elles possèdent moins de contraintes pour être nourries, ce qui le rend moins dépendant d’une production céréalière importante. Selon lui, la production céréalière sera progressivement priorisée pour l’alimentation humaine, ainsi l’élevage de ferrandaises lui permet d’anticiper l’avenir et d’être plus flexible pour la gestion de ses bêtes.

La Doume (Clermont-Ferrand)
Avant de poursuivre notre route, nous avons fait halte chez Nicolas Bonnet, adjoint au Maire de Clermont notamment en charge de l’alimentation. Ensemble, nous avons rencontré des bénévoles de la monnaie locale complémentaire d’ici, la Doume. Nous avons notamment parlé de Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA). Sur la base du volontariat, une telle caisse SSA est déjà en place à Clermont. Même s’il est encore un peu tôt, nous aurons pu évoquer les premiers retours d’expérience !
Ninkasi (Rhône)
Initialement brasseur à Gerland, l’entreprise rhodanienne Ninkasi s’est fortement développée dans la région lyonnaise avec de multiples bars et une vente importante de bières en grande distribution. Depuis quelques années déjà, Ninkasi brasse à Tarare dans le Rhône. Au sein d’un ancien pôle artisanal de teinturerie, et profitant de la pureté de l’eau locale, Ninkasi souhaite à l’aide d’une toute nouvelle distillerie multiplier par quatre sa production et développer sa nouvelle gamme de whiskys.
C’est ce nouveau site que nous avons pu visiter. Il est à l’image de l’ambition que porte Ninkasi concernant la préservation de l’environnement. D’une manière générale, ils souhaitent pouvoir proposer d’ici à quelques années des produits classés A ou B sur le Planetscore (pesticides, biodiversité, climat). La nouvelle distillerie a permis de faire des gains d’efficacité considérables. Un site équipé de panneaux photovoltaïques, de récupération de la chaleur d’ébullition et globalement ayant amélioré de 20% les rendements concernant les matières premières. Le développement de cannettes en aluminium recyclé fait tout autant partie de leur stratégie que l’acquisition de tout nouveaux alambics personnalisés pour la fabrication du whisky, permettant de diviser les consommations d’eau et d’énergie par respectivement quatre et deux.
Concernant les matières premières nécessaires à la fabrication des différentes bières, l’entreprise mise au maximum sur la structuration de filières locales ou françaises. Un travail est engagé pour le houblon français, alors même qu’il provient habituellement de République Tchèque, d’Allemagne, d’Angleterre ou des Etats-Unis. Idem sur la partie alimentation dans leurs restaurants avec des filières bio qui se construisent progressivement dans la région. Et puis désormais, chaque burger peut être commandé avec un steak de lentilles pour celles et ceux qui ne souhaitent pas manger de viande !

Marché de gros de Corbas
Dernière étape au marché de gros Lyon Corbas. Après la disparition du Marché d’Intérêt National (MIN) à Perrache-Confluence en 2009, un marché de gros s’est installé à Corbas. A l’inverse du MIN, comportant une participation des collectivités, ce marché de gros est entièrement privé. Il s’agit avant tout d’une plateforme. La société met à disposition des espaces de vente, des quais de déchargement et du personnel pour faire le lien entre producteurs et revendeurs. Ces derniers sont avant tout des forains de marchés de plein-vent, plus rarement il s’agit de restaurateurs ou d’épiciers. L’objectif du marché de gros est tout simplement d’assurer la vente de toutes les marchandises, en l’occurrence près de 280 000 t par an. Si une partie est française (40%), une majorité provient à date de l’étranger européen, avec une part de BIO très faible, de l’ordre de 5 à 8%.
En bonus : la déviation de la RN88 !
Nous avons profité de notre passage dans la région pour aller voir les impacts concrets du projet controversé de déviation de la RN88, proche du Puy. Ce projet porte essentiellement par la Région Auvergne-Rhône-Alpes a des impacts colossaux sur les terres agricoles. Des expropriations ont eu lieu pour fabriquer les ouvrages et couler le bitume dédié à ce projet routier. Au total 13 ponts doivent être construits, nous avons pu en apercevoir certains (a priori 3 sont construits à date). Certains agriculteurs ont des pertes de 10 ha, voire 15 ha de terres arables. Proche du Pertuis, un espace de 10 ha de zones humides va disparaitre pour laisser place à un échangeur routier… au détriment de la biodiversité et du travail des agriculteurs du coin.
Dans l’attente d’un démarrage plus général des travaux, qui auront surtout un impact sur le travail des éleveurs, les questionnements persistent… 3 millions de m3 de terres (argileuses) vont être excavés, et un million n’a pas encore de terre d’accueil. Cela pourrait impliquer l’altération de 30 ha de terres agricoles supplémentaires, sachant que la terre argileuses excavée comporte des propriétés minérales plutôt peu intéressantes. Courage aux paysannes et paysans !
Et pour aller plus loin…
Notre collègue Jérémy Camus, Vice-Président à la Métropole de Lyon en charge de l’alimentation a lancé le podcast « Court Circuit » où il va à la rencontre des paysannes et paysans. Et puis en Juin 2024, il se lance dans une transhumance à la rencontre des agriculteurs de la Métropole, de fermes en fermes. Toutes les informations sur https://courtcircuit-lepodcast.fr
Voilà pour 2024, à la prochaine !
Et voici les vidéos associées: